Suite et fin !
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Avec le recul je me dis que ce jour-là, ce n'est pas seulement la suite de mes vacances qui s'est jouée dans l'aérogare de Bratislava pendant la courte hésitation entre la destination à choisir : celle du retour en France et des regrets, ou celle de continuer coûte que coûte. Je crois que sans le savoir, ce n'est pas seulement le choix de mon planning des prochains jours que je faisais à cet instant mais véritablement celui de mon mode de vie des prochaines années à venir. Cette épreuve aurait pu me faire décider de renoncer face aux risques (qui venaient de se manifester de manière concrète) et revenir à une vie plus rangée, elle m'a finalement appris à me dépasser et à enfin me donner le courage de vivre comme je l'entendais, en choisissant ce mode de vie alternatif que je côtoyais jusque-là, qui me faisait rêver et que j'osais enfin m'approprier. J'avais décidé d'être de cette infime proportions de gens qui vivent exactement la vie qu'ils veulent vivre, sans compromis et avec tous les choix difficiles (et parfois radicaux) que cela impose.
Je balayais donc mes incertitudes d'un revers de la main en m'envolant vers Burgas, et la suite du voyage allait me donner raison. Le teknival avait largement tenu ses promesses même si j'ai eu du mal à profiter pleinement de la fête (les amis toujours en Ukraine, les questions sans réponses quant à leur sort et, dans une moindre mesure à celui de mon camion et de toutes mes affaires qui s'y trouvaient). Soleil de plomb, sound systems intallés sur le front de mer, et public 10 fois moins nombreux que pour les précédentes dates. Idem pour la taille des scènes : finies les énormes façades de 50 kW et les décos superbes, on sent que les kilomètres à parcourir et le temps écoulé depuis le début de l'été ont largement écremé notre petit monde. Les sonos hétéroclites, les décos bricolées, les véhicules salis par la poussière, les peaux burinées et les visages marqués par un été de route et de fête donnent une saveur et une authenticité que je ne retrouverais nulle part ailleurs que dans cet évènement. J'ai le sentiment d'appartenir à une communauté, et de participer à un irrésistible mouvement qui tel une houle puissante ne sera stoppée que par son arrivée sur la plage sur laquelle elle jettera ses dernières forces. L'ambiance aussi s'en ressent : parmi les quelques centaines de personnes présentes la plupart se croisent depuis presque 2 mois dans les précédentes fêtes, sur la route, aux frontières, et cela crée un climat de communauté bienveillante dont je serais le premier à bénéficier. Squattant le camion d'A. et M. qui voyagent seuls, je ne comptais rester que jusqu'à la fin de la fête car je ne veux pas leur imposer ma présence indéfiniment. Jusqu'à ce que j'entende appeler "hey rude boy !", un surnom dont on m'avait affublé en République Tchèque. C'est Véro, à qui je raconte mon histoire et qui me propose immédiatement de me joindre au groupe avec qui elle voyage pour continuer à faire un bout de chemin avec eux. Je dois dire que cette proposition me touche : invité par une personne que je connais à peine, je serais logé dans le poids lourd d'un type que je ne connais alors pas du tout : Flo et sa copine Aude.
Virés par la police le 4e jour de la fête nous reprenons donc la route vers la Grèce, roulant de nuit pour épargner autant la mécanique que les conducteurs et les chiens qui les accompagnent de la chaleur écrasante. Cabotage de petits ports animés en criques désertes, de verres de Raki en assiettes de poulpe et poissons grillés, et nous arrivions 10 jours plus tard à Alexandropouli où je décidais de quitter mes bienfaiteurs pour, enfin, prendre un avion et rentrer en France.
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Entre temps la situation pour les 3 amis restés en Ukraine n'avait pas évolué d'un pouce. D'attentes en faux espoirs ils continuaient à patauger dans l'inefficacité de la justice locale, n'ayant toujours pas d'échéance à laquelle s'accrocher. Se faisant peu à peu à la vie locale, rencontrant quelques personnes sur place, je continuais d'entretenir avec un contact un peu plus ténu cependant du fait de mauvaises relations avec la famille de Seb à mon retour en France, ce qui ne faisait que compliquer la situation. Ne pouvant chercher un boulot fixe tant que je n'étais pas fixé sur la décision quant à mon camion je traînais à droite à gauche, bossais 3 semaines en imprimerie pour le père d'un ami, quand enfin mi-octobre la situation commença à vraiment évoluer. Le juge en charge de l'affaire avait décidé de la date du procès...mais aussi de la sentence ! Elle était claire : 3 ans de prison, à moins que Franck et Marion pour leur dossier, et Seb pour le sien ne paient une "amende" en liquide de 7.000 dollars US qui aura pour effet de commuer la peine de prison ferme en peine assortie de sursis, autant dire une peine purement formelle puisque n'étant en vigueur qu'en Ukraine. L'amende transmise par l'avocat chargé de faire l'intermédiaire finira évidemment directement dans la poche du magistrat. Le verdict acheté, la sentence finit donc enfin par tomber presque 3 mois après le jour fatidique du passage de frontière avorté : ils seront relâchés sous 10 jours, et mon camion m'est restitué sans conditions : étant à mon nom et ayant été innocenté au début de la procédure, le magistrat avide n'a sans doute pas trouver moyen de taxer aussi cette décision. Par contre, les papiers du véhicule étant à mon nom d'une part et les parents de Seb lui interdisant de la ramener d'autre part je devais y aller pour ramener le véhicule, malgré les conseils de l'ambassade essayant de me dissuader d'y retourner : je n'étais pas à l'abri d'un changement de décision de dernière minute à mon égard.
Je m'envolais donc vers la Slovaquie le 25 octobre, et refaisait en sens inverse le trajet vers Uzgorod. Le 26 au matin je repassais en car la frontière slovaquo-ukrainienne, et retrouvais mes compagnons d'infortune; c'était un dimanche soir.
Le lundi je me présentais donc au SBU où l'on m'informa qu'il manquait une signature au bas d'un papier administratif pour que je puisse récupérer mon fourgon. J'y retournais le lendemain pour apprendre que la présence de l'avocat était nécessaire lors de la restitution du véhicule. Indisponible ce jour, il me donna un rendez-vous le lendemain auquel il arriva avec une bonne heure de retard. Papiers signés, sermon de l'officier du SBU qui me demande d'avoir une "attitude chrétienne" avec Seb lorsque nous nous reverrions en France (il avait dû sentir que j'avais du mal à digérer tout ça), et restitution des clés. Je fus donc emmené sur le parking où était garé mon camion depuis tout ce temps avec quelques incertitudes quant à l'état dans lequel j'allais le retrouver. Mais bonne surprise les plombs des scellés y étaient toujours, je les fis sauter moi-même et vérifiais le compteur kilométrique que j'avais eu le réflexe de relever la dernière fois où j'y avait eu accès pour récupérer quelques habits : il n'avait pas bougé !
10 kilomètres me séparaient de la frontière, je commençais à les parcourir quand soudain catastrophe, un gros bruit de casserole se fait entendre sous le capot juste avant une station service. J'y entre, jette un oeil dans le compartiment moteur mais ne vois rien qui me permette de diagnostiquer le problème. Ma décision est vite prise, il faut que le camion tienne jusqu'à la frontière que je dois passer coûte que coûte : s'il faut flinguer le moteur pour y arriver ce sera de bon coeur, pourvu qu'il rende son dernier souffle en Slovaquie ! Je redémarre et, miracle...plus de bruit. Je fais le plein, arrive sans encombre à la frontière où je suis reconnu par les douaniers qui m'accueillent tout sourire avec ces mots : "Frantsousky ! Narkotiky !". Moi aussi je suis ravi de vous retrouver les gars... Je me dis que le fait qu'ils sachent qui je suis aura au moins l'avantage d'accélérer les choses mais en fait pas du tout : me voici à nouveau bon pour la fouille réglementaire avec 3 douaniers dans mon petit fourgon, lors de laquelle un des fonctionnaires que je n'avais jamais vu tombe sur deux bulbes de pavot que j'avais cueilli et fait sécher au mois de juillet en République Tchèque où ils sont cultivés par champs entiers. Alors que je n'y voyait qu'un élément de décoration (ils étaient posés en évidence sur le tableau de bord), je vois que le douanier qui s'en saisit roule de gros yeux et me les brandit sous le nez en disant "Narkotiky ! Protokol !". Putain, ça va pas recommencer... Je suis en train de me liquéfier à vitesse grand V quand son collègue, témoin de la scène et au courant de mes péripéties le prend à part (précaution inutile je ne comprends rien à leurs échanges) et finit par jeter les bulbes de pavot à la poubelle, ce qui mettra en même temps un terme à la fouille. Ils me font signe de partir, je les salue de la main avec un grand sourire et en leur lançant un "Salut, bande d'enc***s !", ultime bravade inutile mais néanmoins jouissive à laquelle ils me répondent par un salut très formel, et je peux enfin passer en Slovaquie où l'entrée se fera sans encombre.
Je roule 3 heures, passe la frontière hongroise et m'arrête pour dormir (et plus de signes du bruit effrayant qui s'était fait entendre, ce qui est de bon augure pour la suite). Après une courte nuit je reprends la route et la journée du lendemain sera un marathon de 22 heures de conduite quasi continue pour rentrer, j'ai hâte de pouvoir clore définitivement cet épineux chapitre et de pouvoir enfin recommencer à faire des projets...
