Ce pays est toujours aussi attirant par ses paysages, son accueil et bien sûr l'ambiance extraordinaire des déserts.
Avec le vent, impossible de se poser pour bader le paysage, du coup nous avons roulé chaque jour, sauf deux fois où nous avons trouvé des endroits protégés, deux jours de farniente, nous en espérions davantage. Nous avons mangé du sable, au sens propre comme au sens figuré. A tel point que les dents craquaient chaque jour du soir au matin et que ça m'a provoqué une luxation de la mâchoire, la fermeture ne se faisant pas comme d'ordinaire, l'articulation a manifesté son désaccord. Pour mastiquer le ragout de dromadaire c'est moins pratique.
Le plaisir de la conduite dans le sable a été retrouvé avec un parcours plus roulant qu'en 2013. Nous avons évité les zones trop confuses, trop désordonnées, nous commençons à savoir lire les vieilles cartes IGN et interpréter les photos Gogolito que nous avons en nombreuses "dalles" dans l'ordi de navigation. Nous y avons trouvé cette sensation de liberté, sans doute surprenante vue de France, mais partir en ouvrant ses traces chaque jour, pendant un parcours de 600 km sans voir personne ni croiser aucune piste est une réelle expérience de liberté.
Le choix du tracé se fait à vue, à la fois mètre par mètre mais aussi en anticipant le plus loin possible, quelques fois jusqu'à l'horizon. Cette conduite nécessite une attention de chaque seconde, le ou la copilote y participe activement car il faut regarder juste devant le nez du camion et le plus loin possible à la fois. Déjouer tous les pièges du terrain fait partie du jeu. Plus le soleil est haut, plus la réverbération gomme le relief. Difficile parfois de distinguer un petit trou d'un grand entonnoir dans lequel mieux vaut ne pas tomber, une petite ondulation sournoise qui vous envoie valdinguer comme une sauterelle saoule, une rigole cassante ou deux à la suite bien synchros qui contractent violemment la suspension jusqu'en butée. La vitesse est en permanence ajustée au terrain, la configuration du camion devant être bien choisie avant que le problème ne se pose, il faut réagir vite sinon ça passe pas. Vitesses longues ou courtes, crabotage 4x4 ou non, blocage du différentiel arrière ou non. Il faut quelques jours pour intégrer les bonnes anticipations qui sont, bien sûr, très souvent bafouées. Lire le sol dans un désert est réservé à ceux qui y sont nés et qui s'y aventurent tous les jours de leur vie. Une excellente connaissance de son engin est indispensable et surtout de ce qu'on sait faire avec.
Tout ceci se passe entre vous et le désert, c'est lui le maître, il faut le respecter pour l'amadouer et en tirer ce plaisir particulier, unique. Si le virus fait son boulot, c'est une drogue dure, pas de vaccin, pas d'antidote. La beauté des sculptures du vent dans le sable, les dunes en sont les plus belles réalisations, est émouvante, incroyablement douce. Il ne faut pas s'y tromper, cette douceur cache une incroyable hostilité. Pénétrer ces zones est un booster de sensations pour cette raison.
Nous nous y promenons avec une facilité incroyable grâce à un déploiement de technologie dont il faut avoir conscience, même avec un vieux camion comme Garfield et ses équipements tip top. Nous avons croisé une vraie caravane, une bonne cinquantaine de dromadaires chargés de trois gros sacs chacun lors d'une approche très difficile d'une "oasis perdue" ou plutôt abandonnée car très difficile d'accès pour nos engins. Difficile de dire qui a été le plus surpris. Ces quelques hommes, huit ou neuf, nous ont renvoyés en pleine figure ce savoir que nous n'avons pas, savoir de vivre avec très très peu, de se frotter à cette hostilité avec des moyens extrêmement rudimentaires mais obligatoirement issus d'une longue tradition où la connaissance s'est accumulée et transmise. Ne nous admirez pas pour notre périple, eux oui.
Reste à savoir ce qu'ils transportaient à l'ère du camion et des pickup 4x4 ? Jean Marie, pilote du Toyota qui nous accompagne dans ces voyages, d'une corpulence certaine, s'est lancé dans une gesticulation à but communicante, ils ne parlaient ni arabe ni français, pour leur expliquer que nous attendrions qu'ils soient un peu éloignés pour remettre les moteurs en route et ne pas faire peur aux dromadaires. Dommage que cette séquence n'ait pu être filmée car c'est un monument de drôlerie, ils étaient tous hilares. Rencontre des plus improbables, je n'imaginais même pas que ces caravanes existaient encore.
Nous avons roulé sans suivre aucune traces sur l'ordi, ni way point, simplement au cap et au feeling.
La première trace de la frontière à Chum est facile, elle va d'ouest en est, nous avons mieux réussi qu'en 2013 en suivant grosso modo le 20°08'N, l'arrivée sur Chum ne peut se louper, la montagne nous y amène obligatoirement.
La deuxième trace, Chum Zouerate est facile, la fameuse voie ferrée vers le nord à gauche, la montagne à droite. A 45 km de Zouerate surprise... le Toyota nous a doublé à 80 km/h ! Ils ont trouvé une magnifique route goudronnée toute neuve, ça tombait bien le paysage devenait monotone, la conduite fatiguante sur une vieille piste défoncée dont nous ne comprenions pas pourquoi il n'y avait que des traces anciennes.
La troisième trace, Zouerate cratère de Tenoûmer, il constitue sur les cartes un beau way point difficile à louper. Magnifique, imposant, impressionnant. 245 km cap ENE.
La quatrième trace, cap plein sud. Du sable roulant, des cordons de dunes bien organisés qu'on peut franchir en choisissant le niveau de difficulté qu'on veut ou même les contourner mais ça fait des détours et c'est tellement plus drôle de faire le yoyo avec Garfield. Arrivée sur le plateau rocheux du Guelb er Richât contourné par l'Est par la passe de Ghallaouiya où nous avons pu passer une journée de farniente abrités du vent. Beau passage qui permet d'éviter beaucoup de cailloux et de continuer par le sable, cap à l'ouest pour rallier Ouadane, le tout pour 345 km.
Ensuite la classique Ouadane, Chinguetti, Atar où nous avons refait les pleins de gasoil. 852km depuis Zouerat, 187 L pour Garfield soit 22 l/100.
Evoquer des traces pour la suite ne conviendrait pas. Nous avons quitté Atar pour rejoindre la piste qui va vers Chinguetti mais qu'on quitte avant pour descendre direction Tidjikja loin dans le sud. Les 3 premiers jours se sont passés dans la caillasse, impossible de sortir de la piste. Visite d'un autre cratère, celui d'Aouelloul que Théodore Monod avait vainement recherché, de belles dimensions bien que nettement plus petit que Tenoûmer. Beaucoup plus bas nous sommes repartis hors piste, cap à l'ouest, ouvrant notre trace vers cette "oasis perdue"que nous voulions atteindre. Nous savions que seuls quelques guides locaux du temps où le tourisme était actifs se lançaient dans ce trajet. L'approche par l'est que nous avons tentée nous a conduit dans des dunes pas très grandes, désordonnées, un relief très compliqué qui ne nous rebutait pas, nous avions connu le même genre là où Garfield avait cassé sa direction en 2013. Mais le sable est devenu extrêmement mou, impossible de trouver un endroit porteur. Demi tour. Consultation des cartes et photos Google qui montraient qu'arriver par l'ouest était impossible, restait une approche par le sud mais nécessitant une grand contournement de longs cordons de dunes assez abruptes. Ce que nous avons tenté avec succès le lendemain, c'est sur cette partie que nous avons croisé cette caravane. Vous savez déjà que Garfield a voulu rester dans cette oasis, volonté manifestée par un entêtement à refuser de sortir là où il avait "fait son trou". Nous sommes repartis par le même chemin, pas d'autre choix, et nous avons continué cap au sud au milieu de cordons de dunes bien garnies de gros tas de sable avec une touffe d'herbe dessus. Ces tas faisaient entre 20 cm et 2 m de haut, souvent très serrés, configuration assez classique. Impossible de prendre de l'élan là dedans pour grimper une dune, tout se fait au couple en essayant de garder le peu de vitesse acquise, le rayon de braquage de Garfield a souvent été sollicité au maximum pour passer là dedans. Un gros boulot avec le volant, jongler avec les courtes et blocage du diff AR sans lequel il ne passe pas. Les connaisseurs comprendront que ça ne facilite pas les virages ! De belles descentes derrière, entre 10 et 25 m, Chantal ne crie "plus "Maman" dans ces descentes comme en 2013. Il faut dire que pour le premier voyage elle était totalement handicapée de l'épaule droite (nécessitant une opération au retou)r et qu'elle n'avait pu conduire. Cette année elle a fait des débuts prometteurs dans le sable et a pris confiance en sentant et comprenant les réactions du camion. Nous avons hélas quitté le sable, ou plutôt l'inverse car on tombe dans des grands regs de cailloux. Un peu difficile de retrouver une piste mais ça fini toujours par arriver. Bivouac au Ksar el Barka, endroit mythique de la Mauritanie, détruit et reconstruit inlassablement au gré des guerres, invasions et autres douceurs. Abandonné depuis très longtemps. Impression curieuse. Etonnamment conservé par endroit, on peut y détailler et apprécier l'architecture de l'époque et le savoir faire des constructeurs. Retour un peu plus loin dans un univers de pierres noires, une plate désolation, lunaire, toujours en gros cap au sud en suivant obligatoirement de pistes. Quelques fois ça se termine en cul de sac dans un hameau dépenaillé ou quelques familles élèvent des chèvres. Enorme surprise de découvrir dans cet univers décourageant un immense lac, des milliers d'hectares. Le niveau est assez bas, une grande partie est marécageuse. La surprise prend encore un peu d'ampleur quand on découvre d'immenses troupeaux de vaches ! Les cow boys locaux ne ressemblent pas à ceux de la mythologie hollywoodienne, ils sont totalement mauritaniens avec une forte influence de l'Afrique noire qui n'est plus très loin. Nous y avons passé notre deuxième journée de farniente abrités du vent par de nombreux arbres. Nous avons eu droit au petit veau né sous nos yeux, que la mère a délaissé jusqu'au lendemain. Nos femmes, qui pensaient bien que c'était "inhumain" de laisser un petit être vivant ainsi abandonné sont allées prévenir les cow boys qui "contrôlaient" bien la situation, à savoir attendre que la nature fasse son boulot... La mère est venue le lendemain matin nourrir son veau qui s'est enfin mis debout. Tout cela à vingt mètres de notre bivouac. A partir de là le vent est devenu vraiment un handicap, il faut dire que nous commencions à fatiguer de ces conditions, c'est là que nous avons pris la décision d'abandonner. Il y avait de prévu une belle boucle au départ de Tichit, cap au nord qui nous aurait fait ouvrir de belles traces au milieu du sable pour se retrouver à nouveau à Ouadane après 500 km de désert. Ce sera pour la prochaine fois.
Retour sur le goudron près de Moudjéria pour rejoindre la "route de l'espoir" qui part de Nouakchott et va rejoindre le Mali dans le coin sud est de la Mauritanie.
Une bonne adresse au PK 13 au nord de Nouakchott, un resto de poisson qui a une réputation méritée depuis longtemps, Les Sultanes, on peut dormir sur le parking, endroit cool au bord de la mer.
Beau voyage malgré les conditions.
Cordialement
Yves